Parsifal au Metropolitan Opera de New York

Hors du temps et de l'espace

Prise de rôle de Jonas Kaufmann dans Parsifal au MET
Photo Ken Howard / Metropolitan Opera
Parsifal est un œuvre forte qui transporte dès les premières mesures. C'est sans doute l'une des plus belles musiques, un opéra riche de sens qui fait écho à la spiritualité de chacun.

Décrypter Parsifal est très hasardeux et je laisse cette prérogative aux experts. Comme spectatrice de la mise en scène de François Girard et admiratrice de l’œuvre, il est ici question de mon propre ressenti à cette représentation de mars 2013 à New York.

La distribution du Metropolitan Opera était purement inconcevable dans nos rêves les plus fous. Jonas Kaufmann est un très grand Parsifal et son incarnation est stupéfiante. René Pape est un Gurnemanz plein d’humanité. Peter Mattei  est un poignant Amfortas dont la souffrance magnifiquement exprimée résonnera longtemps dans le cœur des spectateurs.  Katarina Dalayman est une Kundry convaincante dans ce personnage aux multiples facettes. 

Photo Ken Howard - Metropolitan Opera
La mise en scène de François Girard parle d’universalité et illustre les questions essentielles à l’humanité comme l’amour et le désir, la faute et le remords, la souffrance et la rédemption. 

Par les épreuves qu’il traverse, Parsifal prend conscience de la souffrance universelle pour ensuite la transcender par la compassion.  Ainsi, celui qui endosse la douleur d’autrui peut découvrir le sens du monde. 

Blanc et noir séparés, comme le Yin éloigné du Yang
Photo Ken Howard - Metropolitan Opera
Au premier acte, les hommes et les femmes sont de chaque côté d’une fracture terrestre dans un paysage aride et sombre, image d’une société en déséquilibre où le féminin et le masculin ne s’harmonisent plus. Le roi Amfortas souffre d’une blessure provoquée par la lance sacrée. Comme le raconte Gurnemanz, la lance fût dérobée par Klingsor, ancien chevalier déchu qui a juré la perte du domaine du graal. On attend «le naïf au cœur pur» annoncé par l’oracle, celui qui refermera la blessure. Tout le deuxième acte nous plonge dans la plaie douloureuse d’Amfortas qui ne se referme pas. Kundry, qui avait envouté le roi, cherche à séduire Parsifal. Celui-ci résiste à son baiser et devient soudain frappé de clairvoyance. Il ressent alors la douleur d’Amfortas et prend conscience de sa mission. Sur le chemin de la compassion et de l’éveil, le troisième acte éclaire sur la rédemption possible. La plaie peut enfin cicatriser, la nature revivre et l’eau couler, les hommes et les femmes se retrouver et la société redémarrer.  Les tortures de la souffrance ont fait place à une humanité régénérée. 

Mais revenons aux merveilleux interprètes de cette soirée. Tout d’abord Jonas Kaufmann. La difficulté du rédacteur face à son talent, c’est que les mots sont impuissants à traduire ce qu’il fait. Il fait oublier toutes les interprétations antérieures dans une incarnation totalement neuve et bouleversante de son personnage. Comme si personne avant lui n’en avait compris le sens. Sa scène de la grande révélation par le baiser est anthologique. Personne ne l’avait encore chanté comme cela (peut-être Jon Vickers le siècle dernier, selon ceux qui l’ont vu). 


"Amfortas, die Wunde!", la révélation par le baiser
Photo Ken Howard - Metropolitan Opera
Le chant de Jonas Kaufmann est magnifique et toujours surprenant et expressif, alternant aigu puissant et pianissimo à faire pleurer les pierres.  L’homme et son personnage ne font qu’un: Parsifal découvre la souffrance dans son cœur et Kaufmann l’éprouve devant nos yeux embrumés.  Cet admirable interprète restitue avec intuition et intelligence les écrits de Wagner au deuxième acte pour «Amfortas, die Wunde!»: «Parsifal sursaute dans un geste d’effroi extrême ; son attitude exprime un changement terrible ; il presse violemment les mains sur son cœur, comme s’il voulait surmonter une douleur déchirante …Tandis que Kundry regarde fixement Parsifal, effrayée, celui-ci est ravi, en extase ; la douceur de sa voix fait frissonner». Puis «Désespéré, il tombe à genoux», moment où Kaufmann est inoubliable de souffrance et de désespoir mêlés dans «Erloser! - Rédempteur!»    (Clic pour extrait audio).  

Photo Ken Howard - Metropolitan Opera
Mais un autre grand moment nous attend: l’apparition de l’Amfortas de Peter Mattei. Il y a longtemps qu’une salle -souffle suspendu- n’avait entendu une telle interprétation. Il émerge du cercle recueilli des Chevaliers du Graal, titubant de douleur et portant au cœur une plaie encore vive. Le chant magnifique de Peter Mattei nous emporte dans une fusion de douceur et de douleur christique. Son personnage est déchirant à chaque apparition. Les gestes d’un réalisme douloureux inouï,  la voix poignante et désespérée, la diction parfaite, la puissance de la projection dans l’immensité du MET, tout cela nous arrache le cœur. C’est sublime !         (Clic pour extrait audio)


Photo Ken Howard - Metropolitan Opera
Enfin, René Pape est un très beau Gurnemanz au chant majestueux rempli de nuances et aux aigus triomphants.  Ce soir, il surprend par l’humanité de son interprétation. La voix est magnifique et sa résistance physique héroïque dans le rôle le plus lourd de l’œuvre. En d’autres occasions, il lui arrive de paraître détaché ou trop académique, mais ce soir, il fait une composition touchante et magistrale. 

La direction musicale de Daniele Gatti est toute en lenteur par le tempo imposé. Il en émerge une puissance particulière qui renforce notre fascination pour le drame qui se joue devant nos yeux et qui gagne en intensité jusqu’à la scène finale qui laisse sans voix. 

Photo Ken Howard - Metropolitan Opera
De cette soirée au bout du monde, je retiendrai quelques belles images d'une incroyable intensité: le bras protecteur de Gurnemanz posé sur l’épaule de Parsifal, l’initié venu d’ailleurs à la voix douce et apaisante; la marche christique d’Amfortas qui s’effondre de douleur; le baiser et l’ouverture du cœur de Parsifal à la souffrance universelle; son retour le jour du Vendredi saint après une longue errance; la musique qui envahit progressivement l’espace sonore alors que Parsifal brandit la sainte lance qui libère Amfortas de sa douleur; l’enchantement de la bénédiction de la communauté et Parsifal qui soulève le calice sacré, tableau religieux transfiguré par la musique des anges. 

Alors que le rideau se referme lentement et que les lumières se rallument trop vite, ces images inoubliables nous laissent totalement chancelants devant tant de beauté. De longues ovations et des hurlements enjoués rompent le silence qui conclut cette méditation musicale. Nous venons d’assister à un Parsifal d’anthologie avec une distribution de rêve qui restera inégalée pendant longtemps !

Jonas Kaufmann est un très grand Parsifal, 
peut-être le nouveau Parsifal de référence

2 mars 2013: la distribution de rêve après leur performance de 5 heures ! 
Selon Kaufmann lui-même, "Parsifal est comme un voyage métaphysique, une expérience très mystérieuse et unique" (lien web ci-dessous) :  http://youtu.be/cO-y2cx8eyw

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