Jonas Kaufmann

Le ténor de l’île déserte

10 juillet 2013: le ténor Jonas Kaufmann a 44 ans, la plus belle voix au monde, des qualités rares, une approche à la fois intelligente et instinctive de son art et un charisme inné. 

Après vingt d’ans de tissage prudent de sa carrière, il est le ténor le plus aimé et le plus demandé actuellement. Timbre envoûtant, aigus à se damner, pianissimo évanescent, le souffle, la ligne de chant, les nuances, en l’écoutant on ne cesse de s’émerveiller.

Mais sa grande force réside dans son engagement sur scène qui donne le frisson grâce à l’implication de tout son corps et de tout son être. Sa nature passionnée mais rigoureusement disciplinée produit l’effet d’une spontanéité bien assise sur une technique sûre et le hisse au sommet de la profession.

Pour moi, le grand choc initiatique se produit au 20e rang de Bastille en janvier 2010. Werther revivait la tragédie du passé et un grand chanteur d'opéra naissait devant nos yeux provoquant le choc dont on ne veut pas se remettre.


Werther - Opéra de Paris 2010
On réalise alors la force de son instinct mélodramatique à travers la musique et le texte. À l’époque de l’individualité et de l’égo, Jonas Kaufmann a le bon goût et le courage de se soumettre au livret et trouve ainsi le moyen de donner vie aux intentions du créateur. Il a une conscience dramatique si aiguë qu’après chaque incarnation, ce don de lui-même fait résonner en nous cette voix inouïe pendant longtemps.

Son effet sur l’auditoire est magnétique. L’intensité du regard, la puissance émotionnelle de son chant attirent immédiatement dans son monde imaginaire. "Je suis tellement absorbé dans mes rôles, que c'est comme une drogue" dit-il. 

Sa façon de projeter son personnage à travers le langage corporel et l'expression du visage est à la fois puissante et sobre, et tout à fait fascinante. Il suffit de regarder ses yeux quand il est sur scène: il n'y a pas un instant d'hésitation ou de doute sur ce que son personnage ressent ou sur quoi ses pensées sont concentrées. Il vit le rôle pleinement dès son entrée. 

Interview imaginaire
Comme je n’aurai jamais l'opportunité d’obtenir un face à face avec Jonas Kaufmann, voici sa vision personnelle de son métier, au fil de la presse. Sa personnalité force l'admiration car tout est dit simplement avec les mots justes. Quelques extraits d'entretiens...légèrement "aménagés" pour ce contexte imaginaire.

Comment est née votre envie de chanter ?
Enfant, je hurlais tout le temps. Les gens disaient : "Celui-là, il finira Premier ministre à aboyer en permanence. J’avais la gorge tellement enrouée que le docteur prévenait mes parents : "A 20 ans, il n’aura plus de voix."
Quand j’étais triste, je chantais quelque chose et cela me consolait ou changeait mon humeur. Après une journée épuisante d’école, j’allais à la chorale et, au bout de cinq minutes, toute mon énergie revenait. 
A  8 ans, mes parents m’ont emmené à mon premier opéra. J’ai adoré les costumes, le maquillage et j’ai aussitôt pensé : c’est ça que je veux faire.(1)

Avez-vous des exigences particulières envers vous-même ?
Le but est évidemment d’être le meilleur possible. Je ne suis pas de nature anxieuse, au contraire, je suis extrêmement calme. Et on me déteste parfois pour cela car je peux lire un livre si j’ai cinq minutes avant d’entrer en scène. Mais à la différence d’un concert, dans un opéra le trac prend la fuite dès que l’on entre dans l’univers de l’intrigue. (2)

Comment créez-vous un rôle ?
On crée un personnage en comprenant d’où il vient et en décidant son type de personnalité. Les mouvements viennent ensuite naturellement. Il faut être conscient des situations qu’il traverse et tout simplement être le personnage. Le reste vient tout seul. (2)

Y-a-t-il une manière "juste" d’interpréter un rôle ?
Dans l’interprétation musicale, il n’y a pas de "vérité" au sens d’une juridiction qui vous dise ce qui est "faux". Cependant, on ne peut baser une interprétation sur un mensonge. Si l’on simule une émotion, parce qu’on n’en est pas capable – parce qu’on n’est pas en forme ou qu’on ne peut se mettre dans cette position – on sent qu’il manque quelque chose. Ce n’est pas le "grand frisson". (2)

Est-ce cela votre arme fatale, d’être impliqué émotionnellement ?
Notre voix répond à nos émotions. Si un ami vous appelle et qu’il n’a pas le moral, deux mots suffisent pour vous en rendre compte. Nous devons utiliser cela sur scène. Si vous chantez parfaitement, que tout autour de vous est parfait et que votre voix sonne comme une berceuse, cela ne collera pas. Le public sait reconnaître les émotions profondes. Mais ces “vérités” changent non seulement d’une génération à l’autre mais d’année en année, de production en production et même d’un soir à l’autre. (2)

Traviata 2006
Photo ©Ken Howard / Metropolitan Opera
Votre plus beau souvenir sur une scène d’opéra ? 
J’ai eu la chance de connaître beaucoup de beaux moments sur scène, mais j’aimerai en mentionner un en particulier : mes débuts dans Traviata au Metropolitan Opera à New York devant près de 4000 spectateurs. 
Bien sûr, j’étais assez nerveux en me présentant pour mon premier air. Mais quand le public s’est levé pour applaudir, j’ai eu l’impression que mon cœur était descendu dans mon estomac et mes genoux tremblaient tellement que je me suis soudain retrouvé à genoux, incapable de me relever. 
Je me souviens avoir pensé : "Qui ? Moi ? ". Ça peut paraître idiot, mais c’est exactement ce que j’ai ressenti. C’étaient certainement les applaudissements les plus émouvants et les plus impressionnants de ma carrière. (3)



Lamento di Federico - È la solita storia del pastore
L'Arlesiana (Cilea).

(1) Libération, Mars 2013
(2) ResMusica, Janvier 2012
(3) Journal de l'Opéra Nice, Octobre 2012

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