Juan Diego Flórez

Le Rossini Bel Cantor
Juan Diego Flórez ©Decca/Uli Weber

5 août 2013 : "Phénoménal, prodigieux, pyrotechnique, irrésistible" sont quelques uns des qualificatifs qui auréolent Juan Diego Flórez lors de ses apparitions. Sur scène, le plus talentueux ténor de bel canto actuel chante avec le regard doux et concentré, le geste élégant et le corps puissamment enraciné dans le sol. Et d’entrée, il éblouit par l’énergie, la grâce, l’intensité et la poésie de son chant. 

L’alchimie de la beauté radieuse de son timbre et de la splendeur de ses aigus est absolument unique et éveille une réelle émotion artistique. Sans que nous en ayons pleinement conscience, la perfection de son chant fait naître une sensation inédite, celle du contact avec la beauté pure. Submergé par une douceur à faire fondre la banquise, le souffle est suspendu dans une parcelle d'éternité. Le moelleux de sa voix se savoure, et enivre.  

Le 11 août prochain, dans le cadre du festival Rossini de Pesaro, Juan Diego Flórez se coulera dans les habits d’Arnold de Guillaume Tell. Un nouveau rôle pour enrichir son chant dans une œuvre grandiose. Un tour de force de près de cinq heures afin d’assurer techniquement cette écriture redoutable qui nécessite une élasticité diabolique de la voix.

La Donna del Lago - Mai 2013
© Bill Cooper / Royal Opera House
Juan Diego Flórez sait d’instinct ce qui convient à son instrument et il a suivi la voie où le menaient ses cordes vocales. Il semble né pour conquérir les rôles de ténor les plus difficiles qu’il apprend en se surpassant de délicatesse et d’imagination. Ténor lyrique léger, sa flexibilité vocale et sa projection exceptionnelle le poussent naturellement vers Rossini, Bellini et Donizetti.

Il garde néanmoins la tête froide et une grande lucidité sur la qualité de son travail. "Le chant doit être naturel. Je m’enregistre toujours quand je répète, puis je me réécoute, et ma seule préoccupation est de savoir si je chante avec naturel. Si je force trop ma voix, elle n’est plus aussi belle". En plus, jouer sur scène ne lui a pas été facile "Quand vous jouer, vous oubliez parfois de chanter et quand vous vous concentrez sur le chant, vous jouer mal. C'est un processus d'apprentissage qui n’est jamais terminé. Au début j'étais tellement raide ! "

Personnalité réservée, c’est un professionnel exigeant en vers lui-même. Il conduit sa carrière avec prudence et tourne le dos à tout excès ou prise de risque. "J'appartiens à la catégorie des ténors aigus. Dans ce registre, économiser son instrument n'est pas une question de sagesse, c'est une question de survie ! Si ma voix n'a pas bougé et qu'elle s'épanouit encore autour du "si" aigu, c'est parce que j'ai toujours prêté attention au choix de mes rôles. Aujourd'hui encore, j'évite les rôles trop larges."

Dans le rôle facétieux du Comte Ory en avril 2011
Photo © Marty Sohl / Metropolitan Opera
Tellement prudent et organisé que ses annulations sont rarissimes. Il fait partie de cette nouvelle génération de chanteurs "anti-divo" qui respecte le public tout en préservant leur vie familiale. D'ailleurs, depuis deux ans, son agenda s’est allégé, passant de 70 à 45 représentations par an.  
En 2011, son fils naît 30 minutes avant sa prise de rôle dans Le Comte Ory de Rossini sur la scène du Metropolitan Opera de New York. En ce jour de retransmission Live HD mondiale, des milliers de spectateurs attendent le lever de rideau. Le temps de sauter dans un taxi et l’opéra commence avec seulement quelques minutes de retard. Ce sera probablement l’une de ses plus belles performances lyriques, totalement sous l’emprise d’une joie immense.

Le tempérament latin du ténor est toujours là, caché derrière une redoutable maîtrise de soi. "Je suis impulsif, véhément même parfois. Mais l'opéra apprend le respect du corps : être sur scène impose un état d'éveil permanent. Il faut à tout moment rester concentré sur les mouvements, tout en gardant la ligne du chant et en s'efforçant de ne faire qu'un avec l'orchestre. J'ai aussi appris à canaliser les énergies négatives. Au début, un mauvais coup de fil avant une représentation me donnait l'envie de tout arrêter."

Festival Rossini de Pesaro 2013
Il dit apprendre en moyenne un opéra par an, Les Pêcheurs de Perles de Bizet en 2012, Guillaume Tell de Rossini en 2013, ensuite ce sera Lucrezia Borgia de Donizetti. "C’est avec un nouveau rôle que l’on peut découvrir d’autres possibilités. Quand on reprend un rôle, on ne peut finalement changer beaucoup de choses, parce que la voix s’est habituée à la musique". C’est souvent au Pérou qu’il retourne pour donner la primeur de ses prises de rôle avant de les chanter ailleurs.

Itinéraire d’un virtuose prodige
Né au Pérou en 1973 il compose des mélodies romantiques dès l’âge de 14 ans, tout en rêvant de devenir chanteur pop. La révélation de sa grande richesse vocale lui permet d’intégrer le Conservatoire de Lima à 17 ans, "Un coup de foudre pour la musique et une entrée dans un monde merveilleux" dit-il. Il chante comme soliste dans le Chœur national du Pérou, dans les Messes de Mozart et Rossini. Titulaire d’une bourse et un billet d’avion Lima-New York en poche grâce à la vente de la Renault 4L familiale, il quitte le Pérou pour les Etats-Unis et ses solides institutions de musique. C’est finalement au Curtis Institute de Philadelphie et en parallèle en Californie dans les Master Classes de Marilyn Horne qu’il étudiera le chant jusqu'en 1996.

Avec Olga Peretyatko dans Matilde di Shabran 
de Rossini au festival de Pesaro en août 2012
Photo © Studio Amati Bacciardi
A 23 ans, il fait des débuts fulgurants dans le costume d’un autre en étant totalement prêt à assumer un rôle préparé en seulement 10 jours. Il chante alors à Pesaro car il vient de décrocher un petit rôle dans Ricciardo e Zoraide. Le ténor Bruce Ford ayant dû se retirer du rôle de Corradino de Matilde di Shabran, on lui propose le rôle, l’un des plus difficiles à interpréter de Rossini. "C’était de la pure inconscience. Cet opéra n’avait pas été donné depuis cent quarante ans, je n’avais aucun point de référence discographique pour m’aider dans l’interprétation", se rappelle Juan Diego Flórez. C’est un triomphe et la révélation d’un ténor prodige. Et sa carrière internationale démarre à la Scala de Milan cinq mois plus tard avec l’Armide de Gluck. De ses débuts, il dit "La chance est une combinaison de quatre éléments : l’opportunité, la capacité à la reconnaître, le courage et la préparation musicale".

Luciano Pavarotti l’invite un jour à chanter dans sa maison de Pesaro. Le jeune ténor enchaîne les neuf contre-ut de l’aria Ah mes Amis... de la Fille du Régiment - celui qui a rendu célèbre le Maestro au début de sa carrière - et réussit à l’impressionner par sa capacité à passer le mur du son. A 40 ans, Juan Diego Flórez est désormais sans rival dans l’envolée stratosphérique de cet aria.  

Avec Natalie Dessay dans La Fille du Régiment de Donizetti
Photo © Opéra de Paris – Octobre 2012
Depuis, on l’acclame du Met de New York à Covent Garden à Londres, en passant par les festivals de Salzbourg et Pesaro, et les opéras de Vienne, Milan et Paris. Il est un des rares ténors qui brise la règle d’or de ne pas bisser un air d’opéra, ce qui casse le rythme. A Milan en 2007, le bis de Ah mes Amis… provoque une mini tempête médiatique en rompant la tradition instaurée par Toscanini depuis 70 ans "Je l’ai fait car les gens n’arrêtaient pas de le réclamer. L’important, c’est de ne pas décevoir le public" conclut le ténor philosophe. Ou encore, sous la "pression" des fans français, il bisse de nouveau l’aria de La Fille du Régiment à Bastille en novembre dernier, du jamais vu en 50 ans.

Photo © Sinfonia por el Perú 
Transformer la société par la musique
L’homme est délicieux et humaniste. Ainsi, il met toute sa notoriété et son énergie aux services de sa fondation Sinfonia por el Perú qu'il a créée pour initier les enfants de son pays à la pratique de la musique classique en leur offrant un instrument et une formation. Son objectif est de transformer la société par la musique, partant de l’idée que la pratique de l’orchestre et de la chorale donne aux enfants des valeurs importantes qui aident à les éloigner des dangers de la drogue et de la délinquance. "Pour certains de ces jeunes, la musique est le seul rempart contre la délinquance" explique Juan Diego Flórez. Son engagement lui vaudra la nomination comme Ambassadeur de bonne volonté remis par l’UNESCO en novembre 2012.

Véritable icône artistique adulée des Péruviens, il doit se faire accompagner de gardes du corps lors de ses déplacements à Lima. Pourtant, ce ténor littéralement éblouissant avance dans la vie avec une vision à peine croyable de sa voix "Je suis mon pire fan car je n’aime pas ma voix. Quand je m’entends, je souffre !".



Bellini - La Somnanbule avec Natalie Dessay (Met mars 2009)
Il est aussi l'un des meilleurs ténors belliniens actuels. Sa science des nuances est ici pleinement démontrée dans les états émotionnels de son Elvino. Colère, désespoir, jalousie ou joie, une gamme de tonalités émotionnelles avec une aisance déconcertante dans une émouvante incarnation.



Rossini - Le Comte Ory avec Diana Damrau (Met avril 2011)
La dentelle rossinienne, l'élégance du phrasé, le raffinement et le jeu comique où il démontre ses talents d'acteur dans le rôle du facétieux Comte Ory.


Donizetti - La Fille du Régiment "Pour me rapprocher de Marie" (Met avril 2008)
La douceur, l'émotion, la beauté du legato. Tout semble simple et naturel et c'est sublime !



Sources des entretiens : The Times (avril 2013) Cadences (avril 2013) Libération (janvier 2011) Le Figaro (mars 2010) France 3 (2010) 

1 commentaire:

  1. Juan Diego Florez est Le plus grand ténor bel cantiste de notre époque et même de tout les temps ! Sa voix est un rayon de soleil, du miel, de la beauté à son état pur... Vous avez un coup de blues ? Ecoutez Florez, c'est le meilleur remède.

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