Dialogues des Carmélites de Poulenc au TCE

Touchées par la grâce

Rosalind Plowright (Madame de Croissy)
et Patricia Petibon (Blanche de la Force
15 décembre 2013 : 
Le Théâtre des Champs Elysées présente une production marquante des Dialogues des Carmélites de Francis Poulenc
Ce chef-d’œuvre lyrique du compositeur a été joué dans de nombreux théâtres lyriques français  en 2013, célébrant ainsi le cinquantenaire de sa disparition. Très inspiré par la résonance spirituelle de l’œuvre, Olivier Py signe une mise en scène fascinante de pureté, un dénuement scénique monacal et de sublimes lumières qui décuplent la beauté des douze tableaux de l’opéra.

Cette tragédie théologique est inspirée de l’histoire réelle des Carmélites de Compiègne qui furent arrêtées puis guillotinées pour "conspiration" en 1794. Le mystère de la foi comme argument d’opéra, de quoi constituer un réel défi pour un compositeur. La réussite est totale, mêlant l’adaptation ingénieuse du texte de Georges Bernanos à la richesse de sa partition musicale, une écriture "follement vocale", passant du récitatif intimiste au lyrisme bouleversant. La puissance émotionnelle de la musique de Poulenc est portée par un plateau vocal prestigieux composé des plus belles voix françaises.


Patricia Petibon (Blanche de la Force)
Le livret retrace le chemin spirituel et christique de l’aristocrate Blanche de la Force qui choisit de devenir Sœur Blanche de l’Agonie du Christ. Sa mère est morte en lui donnant naissance. La jeune fille fragile garde cette empreinte douloureuse devenue mystique qui la guide aux portes du Carmel. Elle choisit de quitter le monde car elle ne sait plus qui elle est vraiment. Elle est assaillie de doutes sur sa foi et en même temps elle s’interroge sur cette peur inexpliquée qui sommeille au plus profond d’elle-même. On assiste à une méditation sur la peur, la mort et la grâce. La vie exemplaire de la première prieure ne l’empêchera pas de mourir dans la peur alors que Blanche terrifiée par la mort s’offrira finalement au martyr, comprenant que ce qui lui manquait était des signes de la grâce.

"Si c’est une pièce sur la peur, c’est également et surtout une pièce sur la grâce et le transfert de grâce" explique Poulenc. On sait également que Dialogues des Carmélites concentre les propres préoccupations spirituelles du compositeur qui s’identifie à son héroïne Blanche. Au moment de l’adaptation de l’opéra, Poulenc affronte une épreuve douloureuse dans sa vie. Le sujet même des Dialogues l’entraîne en  dépression, faisant écho à sa peur effroyable de la mort. "Blanche, c’était moi" avouera-t-il quelques années plus tard.

La grande force d’Olivier Py est d’imprégner le spectateur d’images inoubliables. Jamais son univers d’ombres et de lumières n’a eu autant d’impact pour mettre en scène la dualité : l’âme et la chair, la foi et les tentations, la vanité et le don de soi. Dramaturge éclairé et inventif, son imagination théâtrale et son art poétique sont inépuisables. Ici, il nous propose une vision allégorique des mystères de la foi.

Les tableaux d’une beauté absolue se succèdent dans une grande fluidité : l’entrée de Blanche au Carmel par l’ouverture des panneaux du décor formant une croix lumineuse, l’agonie de la première prieure dans une image vertigineuse comme vue du ciel qu’elle implore terrifiée par la mort, le jardin du couvent et ses vieux arbres noirs noueux qui traversent l’espace scénique, la prison transpercée de rayons lumineux tels des barreaux virtuels, la crèche de Noël et une représentation de la Cène totalement féminine.

L’image la plus bouleversante étant la scène finale de la mort des Carmélites : toutes de blanc vêtues, les unes après les autres, elles s’arrêtent de chanter le magnifique "Salve Regina" au son du couperet de la guillotine puis disparaissent telles des anges dans le ciel étoilé du fond de scène. Un final vertigineux et puissant de forte charge émotionnelle.

Ces Dialogues bénéficient d’une impressionnante distribution vocale : Patricia Petibon (Blanche), Véronique Gens (Madame Lidoine), Sophie Koch (Mère Marie) et Sabine Devieilhe en Sœur Constance pour la soirée du 13 décembre. Cette dernière remplaçait au pied levé Anne-Catherine Gillet souffrante, elle-même appelée en renfort à la représentation précédente pour remplacer Sandrine Piau  aphone. Délaissant ses répétitions de Lakmé à l’Opéra Comique, la jeune soprano n’a eu que la journée pour s'imprégner du rôle et s’initier à la mise en scène. Deux défections successives auxquelles les équipes du TCE et les artistes ont su faire face avec brio.

Sophie Koch et Patricia Petibon
Les prestations musicales de chacune sont magnifiques. Patricia Petibon est totalement investie dans son personnage et son chant se transforme avec l’évolution intérieure de Blanche. Avec une aisance technique et une implication dramatique émouvante, la soprano est éblouissante et force l’admiration. La voix pure de Sabine Devieilhe enchante par sa douceur. Véronique Gens et Sophie Koch sont également impressionnantes dans leurs incarnations. Le jeune chef Jérémie Rhorer dirige le Philarmonia Orchestra qui épouse les longues lignes harmonieuses de la sublime partition.

En écho à ses propres convictions religieuses, on pressent qu’Olivier Py est authentiquement lui-même dans cette méditation sur la foi et la mort. Il nous offre un spectacle bouleversant, probablement l’une de ses créations les plus abouties.



Dialogues des Carmélites de Francis Poulenc - Opéra en trois actes (1957)
Texte de la pièce de Georges Bernanos avec l'autorisation de Emmet Lavery, d'après une nouvelle de Gertrude Von Le Fort et un scénario du R.P. Brückberger et de Philippe Agostini
Mise en scène d'Olivier Py, décors et costumes de Pierre-André Weitz, lumières de Bertrand Killy
Direction de Jérémie Rohrer, Philarmonia Orchestra, Choeur du Théâtre des Champs Elysées


Sophie Koch (Mère Marie de l’Incarnation), Patricia Petibon (Blanche de La Force), Véronique Gens (Madame Lidoine), Sabine Devieilhe (Soeur Constance de Saint Denis), Rosalind Plowright (Madame de Croissy), Topi Lehtipuu (Le Chevalier de La Force), Philippe Rouillon (Le Marquis de La Force), Annie Vavrille (Mère Jeanne de l’Enfant Jésus), Sophie Pondjiclis (Soeur Mathilde), François Piolino (Le Père confesseur du couvent), Jérémy Duffau (Le premier commissaire), Yuri Kissin ( Le second commissaire, un officier), Matthieu Lécroart (Le geôlier)
Représentation du 13 décembre 2013

Images © Jean Philippe Raibaud - Théâtre des Champs Elysées 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire