L'Italienne à Alger au TCE

Lemieux au mieux de sa forme

11 juin 2014: Quatrième volet du Festival Rossini présenté au Théâtre des Champs-Elysées, L’Italienne à Alger est composé de pages brillantissimes qui requiert autant d’agilités vocales que de talents comiques. Présentée dans une version de concert, cette bouffonnerie déjantée permet aux interprètes de s’en donner à cœur joie, pour le plus grand plaisir d’un public hilare. A lui seul, le titre de l’ouvrage fait sourire mais c’est bien une belle aventurière qui a enflammé l’imagination du jeune Rossini de 21 ans. L’intrigue invraisemblable mêle corsaires, eunuques et turqueries, tout cela mené tambours battants autour d’une Italienne au tempérament bien trempé, Isabella.

Dans ce rôle haut en couleurs, la contralto québécoise Marie-Nicole Lemieux confirme son abattage inné. Elle est entourée de chanteurs rôdés aux techniques rossiniennes accolées à un certain talent pour la comédie et beaucoup de truculence. Tous réunis dans le bonheur de chanter cette partition écrite comme une mécanique d’horlogerie. Le talent de Rossini de souligner en musique l’aspect dérisoire et comique des situations est absolument fascinant.


Composé dans la foulée de Tancredi en 1813, Rossini frappe un grand coup dans le genre buffa en créant L’Italienne à Alger. Un succès retentissant qui le fera définitivement passer du statut de jeune compositeur doué à celui de star. L’ouvrage est écrit en 27 jours, un temps record pour pallier dans l’urgence la défaillance d’un compositeur que le Teatro San Benedetto de Venise attendait. Le compositeur va puiser dans l’exotisme oriental très prisé à cette époque, tel le "Grand Mamamouchi" du Bourgeois Gentilhomme de Molière.


Marie-Nicole Lemieux, Antonino Siragusa et Nigel Smith
L’histoire se passe à Alger en 1810, à l’époque de l’Empire Ottoman alors que la Régence de la ville est aux mains d’un Dey. Isabella, la belle Italienne, s’embarque pour Alger à la recherche de son fiancé Lindoro, prisonnier du tyran Mustafa, le Bey d’Alger. Son bateau échoue et son aventure commence. A Alger, le Bey est lassé de sa femme Elvira, trop docile à son goût. Il souhaite s’en débarrasser en la mariant à Lindoro et charge Haly, le capitaine des corsaires, de lui trouver une autre épouse, une femme italienne dont on lui a vanté le tempérament volcanique. Précisément, le navire d’Isabella vient d’échouer. On introduit la séduisante et maline Isabella auprès du Bey qui tombe cramoisi sous le charme de la belle qui comprend immédiatement comment tirer le parti de cette situation. S’en suit un vent de folie dans cet Orient imaginaire.

Chaque numéro est un petit bijou dans l’Italienne à Alger. Les rôles principaux sont très équilibrés et les ensembles sont particulièrement réussis. Notamment le septuor qui conclut l’acte I dans la confusion la plus totale et où Rossini utilise les onomatopées de manière irrésistible, comme dans La Cenerentola. Les artistes atteignent leur apogée d’effets comiques lors de l’initiation de Mustafa au rang de "Pappataci" (littéralement, "bouffe et tais-toi"), à mi-chemin entre la danse des canards et Pulp Fiction.


Nicolas Cavallier, Omo Bello, Sophie van de Woestyne
 et Nicolas Rigas
Marie-Nicole Lemieux est une forte personnalité et offre une incarnation mémorable d’Isabella. Elle campe un personnage exubérant et burlesque, usant et abusant de ses charmes plantureux et de sa voix généreuse. On sait que l’artiste a du tempérament et dès ses premières notes, elle s’esclaffe et lève les bras au ciel. On imagine un effet scénique mais non, juste un petit faux-départ vite excusé. Dans le rôle de Mustafa, Nicolas Cavallier s’amuse beaucoup et Antonino Siragusa campe un Lindoro convaincant. Les aigus sont un peu surprenants par moment mais son art des vocalises compense. La belle surprise de la soirée est Omo Bello dans le rôle de l’épouse du Bey. Dommage que ce rôle secondaire ne lui ait pas donné l’occasion de nous charmer plus encore.

Au final, un étourdissant divertissement bien sympathique. L’engagement théâtral des artistes nous délivre un spectacle enlevé où la dérision et l’humour l’emportent… avec la musique de Rossini. Avec ce chef-d’œuvre accompli dans le genre buffa, le compositeur apportait le feu et la vivacité qui révolutionnèrent l’opéra.


L’Italienne à Alger
Opéra (melodramma giocoso) en deux actes de Giocchino Rossini (1813)
Livret d’Angelo Anelli
Marie-Nicole Lemieux (Isabella), Antonino Siragusa (Lindoro), Nicolas Cavallier (Mustafa), Omo Bello (Elvira), Sophie van de Woestyne (Zulma), Nigel Smith (Taddeo), Nicolas Rigas (Haly)
Orchestre de chambre de Paris – Ensemble vocal Aedes - Direction musicale de Sir Roger Norrington
Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 10 juin 2014

Diffusion sur France Musique le 8 juillet 2014 à 20h00 


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