Le Barbier de Séville de Rossini à l'Opéra de Paris

Merci pour ce moment de théâtre

© Bernard Contant (OnP)    
29 septembre 2014 : Si vous n’aimez pas rire à l’opéra, passez votre chemin car cette nouvelle production du Barbier de Séville est sans doute l’une des plus délirantes de ces dernières années.  
Cette production moderne et originale de Damiano Michieletto créée au Grand Théâtre de Genève en 2010 ouvre la saison de Bastille sur les éclats de rire du public. L’Opéra bouffe le plus célèbre de Rossini converti en Commedia del arte avec ses effets comiques millimétrés et réussis, voilà qui est plutôt inattendu.

Même si certains adorateurs diplômés de Rossini boudent un peu la transposition, ce Barbier est un pur divertissement qui trouve son centre de gravité dans l’univers du théâtre populaire élargi à la dimension de l’opéra. Le tourbillon musical rossinien offre un délirant terrain de jeu aux chanteurs, tous apparemment heureux d’incarner cette dérision poétique, merveilleusement accordés.


Dès que le rideau se lève, le ton est donné. On est bien à Séville, mais dans un quartier populaire contemporain de Pedro Almodovar avec du linge au balcon, des femmes en mules et tabliers observant leurs machos bruyants et sympathiques au bar. L’action se déroule dans la rue et à tous les étages grâce à un décor impressionnant qui pivote sur lui-même, laissant apparaître l’intérieur agité des appartements. Les chanteurs montent et descendent les escaliers, des personnages pittoresques s’animent aux fenêtres, les portes claques et les rires fusent. Mais ce qui importe avant tout, c’est que la mécanique de cette comédie déjantée fonctionne divinement et son rythme s’accorde à merveille au tempo rossinien.

Chaque personnage est croqué avec beaucoup de drôlerie : Almaviva en version "djeuns" à capuche paradant sur le toit de sa voiture défraîchie, Rosine en adolescente grunge boudeuse et rebelle, Figaro en entremetteur louche et sûr de lui. L’intrigue est pimentée de trouvailles et de gags scéniques qui pourraient presque nous détourner du chant et des voix. Mais peu importe, les chanteurs-acteurs nous entraînent dans un vent de folie partagée. Le jeune metteur en scène raconte l’intrigue au plus près du livret tout en le truffant de scénettes décalées : des journaux à gros titres qui tombent du ciel au moment de l’air de calomnie, une leçon de musique désopilante, Figaro qui partage un pétard avec Rosine et qui joue de la guitare à Almaviva.

La distribution irréprochable et homogène décroche une ovation finale. Même au travers du prisme d’une retransmission au cinéma, j’ai trouvé ce plateau vocal très attachant. Belle présence de Dalibor Jenis, Figaro cheveux au vent et veste rose bonbon, au chant maîtrisé et orné de robustes aigus. A l’évidence, Karine Deshayes s’amuse dans ce registre décalé. Elle est quasi méconnaissable quand elle apparaît en adolescente aux rondeurs juvéniles avec le casque sur les oreilles. Ampleur et séduction d’une voix aux couleurs chaudes, la mezzo-soprano connaît bien ce rôle. 

Elégance du style et prestation soignée de René Barbera qui incarne Almaviva avec candeur et jovialité. Les autres rôles sont également très bien servis : Carlo Lepore (Bartolo), Orlin Anastassov (Basilio) et Cornelia Oncioiu (Berta).
Dans la fosse, Carlo Montanaro éloigne également de l’ennui et dirige l’ouvrage avec énergie et nuances. Fidèle aux intentions du metteur en scène, le final en crescendo de l’acte I est particulièrement irrésistible.

Dans un entretien (*) Damiano Michieletto confessait "Je n’oublie pas que je viens d’un milieu où les gens passaient devant les théâtres mais n’y entraient pas. A plus forte raison les opéras. C’est pour cela que je cherche à lire les opéras dans une optique d’aujourd’hui, pour que ces gens si nombreux, plus nombreux certes que les passionnés, puissent comprendre." Tout est dit. Et tout est fait pour que ce public soit conquis.

Images Le Barbier de Séville à l’Opéra de Paris / © Bernard Contant
(*) : forumopera.com

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire