La Donna del Lago de Rossini au Met

Flórez et DiDonato mettent le feu au lac

Juan Diego Florez et Joyce DiDonato
La Donna del Lago
© Ken Howard / Met 
21 mars 2015 : Lorsque Rossini compose La Donna del Lago en 1819, il laisse derrière lui les opéras bouffes qui l’ont hissé au pinacle des jeunes compositeurs italiens. Il découvre The Lady of the Lake, le poème de Walter Scott qui lui inspire une nouvelle veine créatrice teintée de romantisme. Il n’a que 27 ans et c’est une étape importante dans son style. Une beauté singulière traverse cet opéra avec une nouvelle manière de fondre des harmonies romantiques dans son éloquence belcantiste.

Lors de la création à Naples, les interprètes durent pardonner à Rossini les vocalises et ornements en batteries qu’il avait écrit pour eux car c’étaient les meilleurs chanteurs de leur génération. L’opéra vient de faire son entrée sur la scène du Metropolitan Opera avec une distribution stellaire reconstituée : Joyce DiDonato, Juan Diego Flórez et Daniela Barcellona, trio de solistes éblouissants en symbiose, déjà ovationné à Londres, Milan et Paris. L’opéra au romantisme naissant de Rossini était retransmis dans les cinémas du monde entier le 14 mars.


Le mélodrame de Scott est une véritable épopée écossaise autour du Roi Giacomo V dans sa rivalité avec les Borderers et les Highlanders qu’il parvient à vaincre. Rossini privilégie la fable amoureuse mais exploite le caractère héroïque dans une orchestration forte. 
L’instrumentation crée les états d’âme des personnages qui s’aiment et se déchirent dans les brumes écossaises. Le romantisme pointe son nez, les cors jouent en coulisse pour évoquer la profondeur de la forêt, la harpe poétise la rencontre, les chœurs grondent et les duos de ténors se font franchement virils. La Donna del Lago offre un subtil mélange de violence guerrière et de tendresse, de conflits politiques et de servitudes familiales au sein d’une nature mystérieuse.


Dans le cadre bucolique d’un lac des Highlands, Elena (Joyce DiDonato) est aimée de trois hommes : un roi, un chevalier et un chef de clan. Egaré lors d’une partie de chasse et déguisé en Uberto, le Roi d’Ecosse Giacomo V (Juan Diego Florez) la voit surgir du lac, telle une apparition, et en tombe amoureux. Elena est la fille de Douglas (Oran Gradus), banni par le roi et réfugié dans les montagnes.
Elena offre l’hospitalité à Uberto/Giacomo V, sans répondre à ses avances car elle aime un preux chevalier, Malcom (Daniela Barcellona) qui a rejoint la révolte écossaise par amour pour elle. Un troisième la poursuit de ses assiduités, Rodrigo (John Osborn), chef du clan écossais redouté et redoutable, que son père lui destine.

Aux accents épiques de la guerre, s’ajoutent ceux lyriques de l’amour au bord du lac. Telle Lucia di Lammermoor, la pauvre Elena se tourmente : elle est prise dans le tourbillon de l’amour, des hostilités politiques et de la violence belliqueuse.
Mais tout se termine bien. Dans un combat singulier, le roi tue Rodrigo. Sa mort marque la fin des hostilités entre les clans et la victoire du roi entraîne un heureux dénouement. En parvenant au palais, Elena découvre qu’Uberto est le Roi d’Ecosse. La fin est digne de Corneille. C’est la Clémence de Titus : le roi pardonne à Douglas, le père, ainsi qu’à Malcom, le fils, qu’il honore et auquel il accorde la main d’Elena.

Dans une atmosphère crépusculaire, la mise en scène de Paul Curran recrée l’archétype du paysage romantique. On s’amuse du petit côté à la "Braveheart" avec des kilts aux couleurs de tourbe et d’herbe écrasée. Les tableaux enchaînent lac, montagnes usées et nuages sur écran, cabane de chasseur, bruyères et rochers de Fontainebleau. Les personnages se croisent et se fondent dans des décors sombres, sans grande séduction. Seuls les costumes chatoyants du roi et de la cour réveillent un peu la rétine lors du dernier tableau. Mais qu’importe car l’écriture vocale et les interprètes sont d’une virtuosité extrême. Rossini parvient à des trouvailles orchestrales somptueuses et audacieuses. Il compose une musique originale qui ajoute encore une gamme de couleurs à sa palette.

Daniella Barcellona et Joyce DiDonato
Les chanteurs de ce soir ont peu de rivaux dans ce registre et ils sont éblouissants. Moments élégiaques, ornements et élégance, qui mieux que ces artistes à la limite de la perfection pour donner de délicieux frissons : Juan Diego Flórez qui fait l’unanimité dans l’un de ses rôles fétiches, Joyce DiDonato devenue l’une des plus saisissantes belcantistes et Daniela Barcellona, à la voix sombre et puissante, ébouriffante d’agilités. John Osborn se frotte aux aigus redoutables de Rodrigo avec beaucoup de conviction.
John Osborn

Dans la fosse, Michele Mariotti maintient le tempo alerte avec énergie et précision. Né à Pesaro et nourri aux essences rossiniennes de son Conservatoire, ce Chef sert merveilleusement cette partition exigeante par la finesse de son interprétation musicale.

Avec cette voix de miel aux élans assurés et ce timbre sublime, Juan Diego Flórez est étourdissant et hors d’atteinte dans ce répertoire. Les vocalises, la technique accomplie et le plaisir de chanter de Joyce DiDonato électrisent la salle. On n’arriverait presque à ne plus s’en étonner tellement ces deux artistes nous ont habitués à tant de prodiges. Si bien qu’une fois le rideau tombé, le public gronde de reconnaissance et tempête allégrement.




Photos © Ken Howard / Metropolitan Opera

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