Les mélodies du bonheur de Jonas Kaufmann

Concert Du bist die Welt für mich à Paris


25 mai 2015 : Au simple énoncé de son nom, les salles d’opéra se remplissent, les billetteries se vident et les sites web se bloquent les jours d’ouverture de réservation. Ce jour de mai, le Théâtre des Champs-Elysées est en effervescence car Jonas Kaufmann chante Du bist die Welt für mich, le programme de son dernier album, accompagné par l’orchestre de la radio bavaroise. C’est le dernier épisode d’une série de onze concerts européens.

Un merveilleux concert avec le talent, le charme, le swing et l’humour pour un saut cadencé dans les années folles de l’entre-deux-guerres. Le ténor a séduit dans tous les genres et cette fois, l’étoile polyvalente s’aventure dans le monde de l'opérette. Avec la même précision artistique, la même évidence et le même impact jubilatoire sur le public. C’est comme ça, Jonas Kaufmann brille de toutes ses facettes et partout où il passe, les ovations sont interminables et le public repart heureux. 


Avec son timbre pianissimo velours et ses aigus virils, le ténor est un des rares à aborder tous les répertoires avec brio et ses affinités musicales n’ont pas de frontières : le romantisme allemand, le lyrisme italien, le vérisme, l’esprit français, jusqu’aux intimes récitals. Il excelle tout autant dans l’art exigeant et minimaliste du lied. Lors de sa dernière apparition parisienne de 2014, il était le voyageur halluciné dans la nuit glacée du Winterreise de Schubert. Un voyage intérieur qui se mua en communion quasi mystique avec le public.

Changement d’époque, de style et de rythme. L’affiche, bien sûr, suffit à nous faire comprendre que les mélodies que l’on s’apprête à découvrir ne sont pas faites de chair et de sang comme les héros d’opéra qu’il incarne habituellement. Celles-ci respirent l’allégresse et la nostalgie. D’autant que leur épopée n’en demeure pas moins singulière car ces mélodies entraînantes ont été dans les années 30 l’exutoire d’une génération confrontée à une grave crise politique et sociale. 
Ces opérettes sont tout sauf poussiéreuses, elles sont impertinentes, d’une frivolité vintage et bien sûr très enjouées. L’icône du chant lyrique prête sa voix à ce répertoire d’airs oubliés que l’on redécouvre le sourire aux lèvres. On y retrouve son intelligence musicale et son goût pour l’empreinte émotionnelle prodiguée au texte. Le chanteur joue habilement de son talent à toucher le cœur et flatter l’oreille : insouciance raffinée, nobles sentiments, nostalgie, sensualité, la voix se faisant caressante pour susurrer les mots d’amour. 

Du bist die Welt für mich (Tu es le monde pour moi), le tube populaire de Richard Tauber accueilli avec émotion lors des bis de ses récitals lui donna l’idée de graver un album. Jonas Kaufmann a ainsi élaboré sa collection personnelle de mélodies signées Lehar, Tauber, Kalman, Korngold ou Stolz, tous très en vogue à l’époque des débuts du cinéma parlant. 

Et un concept : pas d’arrangement sirupeux mais le son original. En préambule au concert, le ténor donne quelques explications sur la présence du micro : certains chants sont écrits pour une voix opératique "la mienne…je crois" ironise-t-il, d’autres pour une voix au micro. Afin de rester fidèle aux intentions des compositeurs et restituer la patine de ces sonorités d’antan, le micro sera parfois ouvert durant le concert (ce qui a permis à deux lanceurs d’alerte de s’improviser loggionistes d’un soir).

L'artiste redonne vie et couleurs à ce répertoire mésestimé des années 30 : une sélection de chansons éternelles dont Dein ist mein ganzes Herz! (Je t’ai donné mon cœur) du Pays du sourire de Franz Lehár que le ténor chante ce soir en français. La salle se lève comme un seul homme. Le Chef s’éclipse et Jonas Kaufmann s’empare de la baguette pour diriger la Marche de la Parade de printemps de Robert Stolz. Embrasement final.

Le pouvoir du ténor bavarois tient autant à son interprétation qu’à sa générosité et à cette aura qui en font un chanteur d’exception. Après trente minutes de rappels délicieusement interminables, le public est debout et le ténor est à genoux. 
Ovation, fleurs, cadeaux, …et même une invitation à croquer la pomme !


Programme du concert

Franz Lehár : Giuditta, Freunde, das Leben ist lebenswert! (Amis, la vie vaut la peine d’être vécu !)
Emmerich Kálmán : Gräfin Mariza, Grüß mir mein Wien (Salut Vienne pour moi)
Richard Tauber : Der singende Traum, Du bist die Welt für mich (Tu es le monde pour moi)
Franz Lehár : Paganini, Gern hab ich die Frau’n geküsst (J’ai toujours aimé embrasser toutes les femmes)
Hans May : Ein Lied geht um die Welt (Une chanson fait le tour du monde)
Pause
Franz Lehár : Frasquita, Schatz, ich bitt’ dich (Chérie, j'insiste)
Robert Stolz : Das Liebeskommando, Im Traum hast du mir alles erlaubt (En rêve tu m’as tout permis)
Mischa Spoliansky : Das Lied einer Nacht, Heute Nacht oder nie (Cette nuit ou jamais)
Franz Lehár : Das Land des Lächelns, Dein ist mein ganzes Herz! (Je t’ai donné mon cœur)

Rappels
Werner Richard Heymann : Ein Blonder Traum, Irgendwo auf der Welt (Quelque part dans le monde)
Ralph Benatzky : Im weißen Rössl, Es muss was Wunderbares sein (Ce doit être merveilleux)
Robert Stolz : Marche de la Frühjahrsparade (La Parade de printemps), dirigée par Jonas Kaufmann
Robert Stolz : Das Lied ist aus, Frag nicht, warum ich gehe (Ne demande pas pourquoi je pars)
Franz Lehár : Giuditta, Freunde, das Leben ist lebenswert! (Amis, la vie vaut la peine d’être vécu !)

Jochen Rieder dirige le Münchner Rundfunkorchester

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