Les Huguenots au Deutsche Oper de Berlin

Juan Diego Flórez, "Tout à coup, la voix change" (*)

Olesya Golovneva (Valentine) et Juan Diego Flórez (Raoul de Nangis)
 
© Bettina Stöss
25 novembre 2016 : Le Deutsche Oper de Berlin fait revivre Les Huguenots de Meyerbeer, une histoire d’amour au cœur du massacre à l’heure de la Saint-Barthélemy. L’intrigue mêle grande Histoire, romance, religion et politique, le tout pendant quatre heures qui filent comme un songe sur la scène berlinoise.

Nommé "Nuit des sept étoiles" en raison de la distribution éclatante des chanteurs à sa création, cet opéra est d’une grande difficulté technique pour les solistes.
Comble du bonheur, cette nouvelle production de David Alden dirigée par Michele Mariotti est soutenue par d’excellents artistes. Beaucoup sont venus pour lui, Juan Diego Flórez a décidément beaucoup à offrir, il répond à toutes les attentes que cette prise de rôle avait suscitées. C’est un immense enthousiasme qui accueille ce nouveau Raoul de Nangis.
Le ténor devenu très tôt admirable conduit une carrière aussi rigoureuse que réfléchie, sans faux pas et sans compromis. L’évolution de sa voix, l’instinct éclairé de parfait musicien et la docilité de son style guident ses choix. 
Depuis 2013 et ses 40 ans, sa voix gagne en force, ses incarnations en profondeur. Il travaille ses mots en français avec constance pour mieux faire percevoir les sentiments, de nouveaux rôles s’offrent à lui avec une prédilection pour notre langue. La voix devient plus sombre pour l’insolence vocale d’Arnold dans Guillaume Tell, elle se fait chair et douleur dans l’émotion du désespoir d’Orphée, son Romeo fougueux s’impose dans la gravité et Werther lui permet de s’abandonner. 
Aussi prêt qu’on peut l’être pour incarner Raoul de Nangis, techniques vocales à l’épreuve et sentiments à exprimer répondent désormais à une nécessité intérieure. Mais aussi Flórez éternel par le soin porté au légato et la pure lumière dans la voix, y ajoutant l’endurance, présent très souvent sur scène pendant quatre heures. Concentré, inspiré, définitivement à l’aise dans ce costume de héros romantique, il assure sans faillir jusqu’au rideau final.


Les Huguenots représente le sommet du grand opéra français, l’œuvre est imposante, longue, intensément dramatique dans les trois derniers actes. La musique de Meyerbeer surprend par son mélange d’influences et de styles. Différents genres musicaux s’y côtoient, musique religieuse et arias à l’italienne, orchestration puissante soutenant des chœurs omniprésents. 
Et des moments forts avec Juan Diego Flórez. Au I, moment élégiaque lorsque le timbre caressant tourneboule la salle avec "Plus blanche que la blanche hermine". Ou ce sublime duo avec la magnifique Valentine au IV, le ténor tutoie les cimes de ses contre-ut (voire plus haut !) pour nous ravir ensuite du rayonnement doux de "Tu m’aimes". 



Derek Welton (Saint-Bris), Patrizia Ciofi (Marguerite de Valois),
Irene Roberts (Urbain), Olesya Golovneva (Valentine)
 et Marc Barrard (Nevers).
Ses partenaires ne manquent pas de qualités. Patrizia Ciofi brille de son assurance dans les coloratures et une interprétation délicieusement décalée de la Reine Margot. Dans le rôle de Marcel, serviteur de Raoul, Ante Jerkunica est une magnifique basse sombre. Irene Roberts, jeune mezzo à suivre campe un Urbain haut en couleurs et décibels. 
Dans le rôle de Valentine, Olesya Golovneva fait fît des difficultés techniques de sa belle voix puissante. Les chœurs sont sublimes et saisissants par moment. Derek Welton et Marc Barrard, respectivement Saint-Bris et Nevers, complètent cette distribution bien chantante. A la tête de l’Orchestre du Deutsche Oper, Michele Mariotti porte cet opéra pharaonique réussissant l’union des styles et lui donnant tout son souffle épique.

L’intrigue se déroule au mois d’août 1572, les protestants sont pourchassés par les catholiques jusqu’à l’affrontement sanglant de la Saint-Barthélémy. Pas facile de mettre en scène les cinq actes spectaculaires de cet opéra-fleuve.
David Alden aime divertir à l’opéra, ces Huguenots n’échappent pas à la règle. Il opte pour une réécriture décalée sans dénaturer le fil de l’intrigue. Au ton burlesque du début succède une scénographie qui gagne en intensité pour quatre heures d’immersion musicale et théâtrale sans une minute d’ennui.


Ante Jerkunica (Marcel), Juan Diego Flórez et Olesya Golovneva
La production alterne entre la dérision de l’entertainment et l’allégorie dramatique. Les costumes sont beaux, parfois distrayants. Au 1, les gentilshommes catholiques se divertissent, les courtisanes se trémoussent, corps ondulants ceinturés de ballons multicolores. Au II, Courteline n’est pas loin, Marguerite se morfond en déshabillé de soie, tout le monde finissant dans la baignoire. Les trois derniers actes renouent avec le contexte dramatique, malgré quelques digressions-surprises tel l’effeuillage de nonnes dans le temple. On peut reprocher ses choix d’amuseurs à David Alden mais pas la direction d’acteurs. Tous les personnages sont travaillés et bien incarnés par solistes, choristes et danseurs. 

L’ouvrage de Meyerbeer connut son heure de gloire au XIXe siècle et il a été notablement oublié au XXe siècle. C’est bien dommage. Ce spectacle nous fait redécouvrir cette musique admirable, le travail des solistes d’une grande virtuosité, la puissance des chœurs et ces fins d’actes absolument vertigineux. On se réjouit que l’Opéra de Paris ait prévu de le mettre au programme en 2018.




Les Huguenots - Deutsche Oper de Berlin - 20 novembre 2016
De g. à dte : Derek Welton (Saint-Bris), Ante Jerkunica (Marcel), Olesya Golovneva (Valentine), Michele Mariotti, Juan Diego Flórez (Raoul de Nangis), Patrizia Ciofi (Marguerite de Valois), Irene Roberts (Urbain) et Marc Barrard (Nevers)

(*) Entretien dans le Berliner Morgenpost
Images © Bettina Stöss

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