Otello de Verdi au Royal Opera House

Le chant comme une œuvre d’art


Jonas Kaufmann - Otello
©Catherine Ashmore /ROH
27 juin 2017 : Le rôle des rôles, si exigeant qu’il convient de le mûrir et de le façonner musicalement. Jonas Kaufmann s’y prépare depuis longtemps et ce moment tant attendu fait le bonheur du public du Royal Opera House, et le mien en particulier.

Toute prise de rôle du ténor est une nouvelle expérience esthétique personnelle. Une fois de plus, l’esthète musicien m’a émue et fascinée. 
Sérénité, maîtrise et musicalité inégalée s’unissent pour offrir un Otello incomparable, au sens "déjà connu comparable".

Le chant comme une œuvre d’art. Son Otello tient sa beauté dans son interprétation en résonance avec les sentiments, les motivations et les cicatrices du personnage. Le chant viril, le timbre velours, la sensibilité, le pianissimo, les nuances en manifestent les détours.



Verdi forge un personnage rayonnant de ses victoires mais aussi âme blessée dans l’ombre. Othello a pour clarté et pour folie Desdémone. Iago qui est le mal, fera de la jalousie facilement aiguisée la matière explosive du drame.

Le rôle-titre exige des moyens vocaux pour l’héroïsme et une sollicitation émotionnelle et physique unique. D’entrée, son "Esultate" claironnant déchire le voile des doutes sous-jacents chez certains, exaltant les prestiges d’une voix qui résonne des éclats de la bataille dont Otello revient vainqueur.

Suivront de grandioses monologues donnant le frisson : "Dio ! mi potevi scagliar", épreuve du feu pour ce qui est de "l’extase contrôlée" qu’évoque souvent le ténor ou "Nium mi tema", totalement défait après avoir étranglé Desdémone.

Jonas Kaufmann (Otello) et Maria Agresta (Desdemona)
Duos d’un lyrisme sublime avec Maria Agresta. La soprano italienne campe une Desdémone touchante, fragile dans sa douleur muette. Son chant est magnifique, la technique est sûre et le charme agit.

Familier du rôle de Iago, le baryton italien Marco Vratogna n’est pas parvenu à me convaincre. Ses facilités n’ont pas pu compenser son incarnation caricaturale et son chant peu nuancé. Ecarté du rôle, Ludovic Tézier aurait su apporter l’intensité, le tranchant et le métal qui conviennent à ce démon.

Dans la fosse, Antonio Pappano emporte tout le monde dans une direction ardente et passionnée. Après la tempête du début, la puissance sonore de l’orchestre engloutira souvent les voix, nous frustrant de leur épanouissement. Une ébullition qui s’apaise le temps des monologues et duos intimistes, estimables moments soulignant alors de délicats détails de la partition.


Jonas Kaufmann (Otello) et Marc Vratogna (Iago)
La nouvelle production de Keith Warner se révèle d’une beauté sombre et pénétrante. Elégance de ses décors coulissants dans un noir profond filtrant les rayons de lumière. Une façon d’incarner l’obscurité dans l’esprit des protagonistes dans ce monde qui s’effondre dans l’inhumain. 
Intrusion psychologique réussie comme ce grand miroir où Otello découvre le visage effrayant de ses démons intérieurs. La lumière viendra des apparitions de Desdémone, notamment pour la scène poétique du duo d’amour de l’acte 1. 

Un Otello à découvrir absolument en salles de cinéma le 28 juin prochain. 


Otello, Royal Opera House, le 24 juin 2017
De g. à dte. : Frédéric Antoun (Cassio), Maria Agresta (Desdemona), Antonio Pappano, Jonas Kaufmann (Otello), Marco Vratogna (Iago), In Sung Sim (Ludovico)

Photos Catherine Ashmore /ROH

1 commentaire:

  1. Merci beaucoup pour cette analyse très sensible et merveilleusement écrite de ce nouvel "Otello"...C'est vraiment un travail d'esthète et de grand musicien que nous livre Jonas Kaufmann dans son interprétation du rôle...Une prise de rôle parfaitement réussie...

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